Chantal Baudouin
Chantal Baudouin obtient son diplôme professionnel du Dance Arts Institute of Canada (autrefois The School of Toronto Dance Theater). Elle a collaboré avec des chorégraphes tels que Serge Bennathan, Anna Blewchamp, Thomas Hauert (Bruxelles), Christopher House, Gabriel Forestieri, Chantal Cadieux et Pierre-Paul Savoie. En 2012, Chantal vit l’expérience d’interpréter Joe et Rudolphe, de Jean-Pierre Perrault (adaptation de Ginelle Chagnon), dans le cadre du Festival Danse Canada au Théâtre du Centre national des Arts (Ottawa). Elle a dansé pour les compagnies Toronto Dance Theater (Toronto), ProjectLIMB (New York), PPS Danse (Montréal) et DansEncorps (Moncton). Elle a tourné au niveau provincial, national et international à plus d’une reprise; Chantal fut choyée de danser aux Ve Jeux de la Francophonie à Niamey, Niger et de participer au volet Artiste en résidence au Hong Kong Arts Festival (2018). Elle gagne le prix Éloizes : Artiste de l’année en danse, en 2018.
Chantal signe sa première création-production, Les Nœuds de Gustav, en collaboration avec Jessie Garon, en octobre 2022; la première fut présentée à guichet fermé au Centre culturel Aberdeen. Chantal fut sélectionnée pour représenter le Canada-Nouveau-Brunswick aux IXe Jeux de la Francophonie à Kinshasa, République du Congo. Elle présente son premier film de danse, Bagage, dans le cadre du Volet d’arts médiatiques du Festival international du cinéma francophone en Acadie (FICFA) 2024.
En parallèle à sa carrière d’interprète, Chantal est chorégraphe, professeure de danse à l’Université St. Thomas, enseignante de danse contemporaine et de Multi Barre à l’École DansEncorps, répétitrice et médiatrice culturelle. Elle œuvre également au sein de sa communauté locale comme artiste invitée en milieu scolaire et préscolaire. Elle est membre de divers organismes artistiques et culturels, notamment l’Association acadienne des artistes professionnel(le)s du Nouveau-Brunswick et le Canadian Alliance of Dance Artists (CADA/East).
Présentement, Chantal danse pour la Compagnie DansEncorps dans le spectacle Le Corps en 4 saisons et elle entame une nouvelle création indépendante de sa signature, appuyer financièrement par le Conseil des arts du Nouveau-Brunswick et le Conseil des arts du Canada. Chantal est en nomination pour le prix Éloizes : Artiste de l’année en danse 2024.
Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer la danse ?
Mon sport d’enfance était la gymnastique artistique; j’ai commencé des cours de ballet classique à l’École DansEncorps comme complément à mes entraînements. Je me suis ensuite diversifiée dans d’autres styles de danse, dont la danse moderne, le jazz, le hip-hop et la gigue. Peu de temps après, une blessure au dos m’a fait choisir la danse comme activité principale au lieu de la gymnastique. J’ai continué de m’investir davantage dans cette discipline artistique, jusqu’au choix d’en faire passion, étude et carrière.
Qu’est-ce qui vous stimule le plus de votre pratique ?
Les échanges et les collaborations, la ramification des connexions humaines par la danse. Ma pratique créative est grandement enrichie de collaborations étroites avec des artistes en danse et d’autres disciplines. Chaque niveau est stimulant et enrichissant à sa façon : dans un premier temps, les rencontres et le tissage d’idées entre artistes; dans un deuxième temps, le partage avec une plus grande collectivité; et finalement, dans un troisième temps, l’ouverture de la pratique et la rencontre directe avec l’autre par le mouvement.
En quoi votre formation et vos expériences vous ont-elles aidé à créer et à innover dans votre pratique artistique?
Ma formation m’a apporté une meilleure compréhension du corps, de son langage et de ses possibilités; mes entraînements physiques m’ont dotée d'une force athlétique et de rigueur; mes expériences professionnelles m’ont permis de repousser mes limites créatives.
Étant diplômée du Dance Arts Institute du Canada (autrefois The School of Toronto Dance Theater), ma formation professionnelle fut une formation pratique concentrée sur la danse contemporaine et la technique moderne Graham; une technique qui met l'accent sur l'utilisation de la respiration, des contractions musculaires et de l'expression dramatique pour créer des mouvements profonds et chargés d'émotion. Cette formation a joué un rôle important dans le perfectionnement de mon outil, mon corps, et influence certainement ma façon de bouger encore aujourd’hui. La gymnastique et mon plaisir d’avoir la tête à l’envers et d’utiliser différents appuis au sol vivent aussi dans ma façon de danser.
Mes expériences d’interprète furent variées, mais pour un certain temps, les spectacles jeunesse ont occupé une place importante dans ma carrière et m’ont offert une plateforme pour renforcir le rôle de la danseuse en tant que véhicule pour des messages positifs et éducatifs. Ce parcours a également eu un impact sur ma pratique par le rapprochement des disciplines danse et théâtre; m’inspirant par la suite à créer des œuvres multidisciplinaires et accessibles à un public élargi.
Je découvre encore. Mes explorations de mouvement, la découverte de nouvelles techniques et les nouvelles rencontres qui prennent place dans ma vie continuent d’informer ma pratique et de la faire évoluer.
Comment le fait de vivre et de travailler au Nouveau-Brunswick vous a-t-il aidé et/ou inspiré votre cheminement ?
Mon cheminement professionnel a débuté à l’extérieur du Nouveau-Brunswick; j’ai vécu à Toronto et Montréal, où je développais ma carrière à titre d’interprète. Mon sens d’appartenance m’a tiré à revenir auprès de ma famille et de mon Acadie. En choisissant de déménager loin des grands centres de la danse, j’ai dû me diversifier comme artiste; je ne pouvais plus me contenter du travail d’interprète pour remplir mon emploi du temps. Au début, j’ai résisté au changement, en habitant à Moncton et en travaillant/tournant avec des compagnies d’ailleurs. J’ai aussi complémenté mon travail d’interprète avec du travail administratif et de coordination pour des organismes artistiques. Finalement, j’ai entrepris mes propres initiatives de création et j’ai ainsi découvert toute une autre sphère artistique à explorer; je me suis ancrée dans ma pratique personnelle à Moncton. Je consacre également beaucoup de mon temps à l’enseignement de la danse et l’accessibilité aux arts, une facette de ma carrière qui a surtout évolué depuis mon retour au Nouveau-Brunswick. Je suis heureuse de pouvoir contribuer au développement de la danse et de pouvoir le faire en français, en Acadie.
Qu’est-ce qui anime votre créativité ?
Tout et rien!
Je puise beaucoup de mon vécu. Je m’intéresse à la fois à l’imperfection de l’expérience humaine et sa splendeur. J’aime jouer avec la superposition du concret et de l’abstrait. Il me faut simplement une graine, une idée; l’eau et le soleil, c’est le temps et l’attention que j’y mets. Pour moi, cette graine peut être une image, un thème, une anecdote, un concept physique, un texte ou une musique. Elle peut être trouvée par hasard, par recherche visuelle ou naître d’un dialogue.
Dépendant de l’ampleur du projet, l’idée initiale peut être assez simple et par la suite, je suis mes instincts et ma curiosité, j’improvise pour créer des mouvements et bâtir une chorégraphie, un univers visuel captivant qui inclut le corps dans l’espace et d’où naissent des images que je trouve évocatrices, belles, intéressantes ou poétiques.
Autant que pour certains projets je puise mon inspiration dans des questionnements profondément personnels ou universellement significatifs, dans d’autres scénarios, je m’amuse à créer de façon ludique et plus spontanée.
Comment se déroule le processus de création d’une chorégraphie ?
En danse contemporaine, les processus chorégraphiques sont très disparates et dépendent beaucoup du chorégraphe et de sa démarche. En général, le chorégraphe suggère un thème ou une idée de base et développe les mouvements en incluant les danseurs dans la création. Au départ, il peut y avoir une période de recherche et d’exploration, une période d’essais et de découverte. Cette étape renforcit la relation chorégraphe-danseur, elle permet de pratiquer l’écoute sensible, la communication ouverte et développe la confiance.
Ce n’est pas rare que le travail en studio se fasse en silence ou avec de la musique d’inspiration au début et que la composition sonore finale n’arrive que plus tard. On ajuste alors le mouvement à la musique et travaille ce chevauchement.
Certains chorégraphes, dont parfois moi-même, créent par tableaux ou par scènes. Ces scènes développent une idée et peuvent être définies par un ton, un répertoire de mouvements et/ou une musique. Le chorégraphe compose le spectacle à l’aide de ces tableaux en reliant les scènes avec des transitions, en dessinant un fil conducteur et en créant un parcours narratif ou émotionnel.
La chorégraphie sera alors pratiquée, répétée et peaufinée jusqu’à la première. L’univers esthétique de l’œuvre est habituellement imaginé au fur et à mesure que la création avance. À l’étape de la production, les éléments finaux se mettent en place durant une période technique en salle, par exemple les costumes, le décor, la conception d’éclairage… et parfois les derniers morceaux de chorégraphie!
Sur scène, ce sont les corps des danseurs qui portent la chorégraphie; elle est vivante en eux et grâce à eux, elle réagit au moment présent, elle continue d’évoluer de présentation en présentation.
Pourquoi pensez-vous qu'il est important de faire de l’art et s’investir dans une démarche artistique?
Je crois que l’art embellit le monde, enrichit les cultures et cultive une humanité saine en offrant une communication pacifique pour des sujets difficiles, abstraits ou autrement hors d’accès. L’art touche l’individualité et la collectivité. C'est une manière de célébrer la beauté, la diversité et la complexité de la vie. C’est une manifestation d’expression qui résiste à la superficialité de notre monde moderne et encourage la connectivité par une humanité commune.
Selon moi, l’art offre aussi un regard particulier sur le monde dans lequel on vit et le monde intérieur qui vit en nous. Pour l’artiste qui explore et cherche, l’art est l’expression de ses observations, ses réflexions, son retour. Pour les consommateurs d’arts qui vivent l’expérience artistique, l’art aide à développer la pensée critique et remettre en question nos croyances et préjugés. L’art offre des bienfaits au niveau du bien-être et de la santé mentale.
Une démarche artistique est comme un filtre à travers lequel l’artiste peut faire passer une chose (une idée, un message, un concept ou une émotion, etc.) pour aboutir avec l’essence de cette chose et tenter de la partager avec la communauté dans un langage qui lui est propre, mais en même temps universel.
Pour moi, vivre une expérience artistique comme danser ou aller voir un spectacle de danse est un moyen de s’évader de la réalité tout en vivant pleinement le moment présent. L’art offre une liberté.
Grâce à votre travail, qu’avez-vous appris sur vous-même et sur la communauté artistique du Nouveau-Brunswick ?
Je suis très reconnaissante d’avoir eu la chance d’explorer le travail de chorégraphe et productrice indépendante au Nouveau-Brunswick. Durant la création de mon premier spectacle, Les Nœuds de Gustav, j’ai dû fréquemment mettre les pieds hors de ma zone de confort, tant comme danseuse que comme directrice artistique. J’ai appris sur ma capacité d’adaptation et ma capacité à être à la fois créative et organisée, jonglant avec les défis logistiques tout en restant fidèle à ma vision. J’ai eu un soutien incroyable de la part de la communauté artistique locale durant cette période d’apprentissage. J’ai adoré rencontrer les gens et créer des liens importants avec des artistes talentueux; j’ai eu le plaisir de découvrir des organismes artistiques et de côtoyer des travailleurs culturels incroyablement dévoués.
Le milieu de la danse contemporaine au Nouveau-Brunswick n’est pas énorme; les opportunités sont plus rares que dans les grands centres et les échanges plus difficiles dus à l’étendue du territoire. Pour surmonter cette réalité artistique, je travaille également avec des artistes de discipline autre que la danse, cela permet de démystifier la danse contemporaine pour l’autre et me permet de développer de nouvelles connaissances et aptitudes. J’entretiens toujours mes relations créatives et artistiques avec des collègues de Toronto et Montréal. Quand c’est possible, j’invite ces artistes à venir travailler avec moi au Nouveau-Brunswick; dans un sens cela aide à faire découvrir le paysage artistique de ma région et dans un autre sens, à actualiser ma pratique et demeurer inspirée. Récemment, j’ai aussi investi beaucoup de mon temps à me déplacer dans la province afin de nourrir des collaborations avec des artistes ou des organismes en banlieues de Moncton ou de différentes villes, notamment Fredericton et Saint-Jean. Je valorise ces échanges qui proviennent d’un désir collectif de développer un milieu de la danse plus dynamique au Nouveau-Brunswick!
Finalement, j’apprends encore sur ma façon de créer et de pratiquer au Nouveau-Brunswick. J’apprends à mon sujet, j’identifie des priorités à l’intérieur de ma carrière et je cherche un équilibre dans la conciliation travail-famille. Mon rôle de mère a une importance incomparable pour moi et agit sur ma carrière de façon multidimensionnelle. J’espère être un modèle de persévérance et de détermination pour mon fils, pour avoir eu suivi mon rêve artistique et cru en l’importance d’une chose : la présence des arts et de la danse à Moncton et dans le monde.
Selon vous, quel est l’impact du travail des artistes dans les communautés et dans l’ensemble de la province ?
Mon travail artistique me permet de m’épanouir en tant qu’individu, mère de famille et membre de la société. Je crois que le travail artistique en général peut avoir un impact profond et positif dans une communauté en agissant comme catalyseur pour le changement social, en encourageant des dialogues, en nourrissant l'âme d'une communauté et en enrichissant ainsi la vie des habitants. Les artistes renforcissent le tissu social. Ils contribuent à la diversité et à la richesse d’une région faisant de la province un endroit plus vibrant, inclusif et inspirant pour tous.
De plus, le travail artistique stimule l'économie locale en attirant des visiteurs et en créant des opportunités d'emploi dans le secteur culturel. Les festivals, les spectacles et les expositions artistiques dynamisent les villes et créent un environnement plus attrayant pour les résidents et les visiteurs.
Décrivez ce dont vous êtes le plus fier au cours de votre carrière.
La présentation de mon spectacle Les Nœuds de Gustav. La création de cette œuvre a survécu l’épreuve du temps, de la distance et d’autres obstacles; le processus à perdurer sur quatre ans, deux villes, une pandémie, une grossesse et des contretemps de production. Je suis très fière d’avoir eu persévéré à travers chaque étape, j’ai tellement appris et j’ai hâte de transposer ces connaissances à une nouvelle création.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes désireuses de pratiquer la danse ?
Pour ceux qui sont désireux d’une pratique professionnelle, soyez prêt aux changements et de vivre avec l’incertitude. Votre médium est le corps, votre corps, celui qui est en évolution constante dans le temps, autant physiquement qu’intellectuellement et émotionnellement. Comme artiste, il faut sans cesse est prêt à s’adapter, se renouveler, se réinventer.
Mais selon moi, tout le monde devrait danser même si seulement pour le plaisir, même si en cachette dans sa chambre ! Si tu veux danser, « go for it », ta santé physique et mentale te remercieront !