Mélanie Léger
Originaire de Shediac, Mélanie Léger est une diplômée du Département d’Art dramatique de l’Université de Moncton (2005), elle détient une maîtrise en théâtre de l’Université du Québec à Montréal et elle a complété le programme régulier en écriture pour la télévision de L’Inis en 2015. Elle écrit pour le théâtre, la télévision et le cinéma, en plus de travailler comme recherchiste, réalisatrice et comédienne. Elle est la scénariste du film Notre-Dame-de-Moncton lancé comme film d’ouverture au FICFA 2022. Durant son parcours, elle a écrit plus d’une douzaine de pièces de théâtre portées à la scène, dont la plus récente, Becca (une coproduction du Théâtre Populaire d’Acadie et de Theatre New Brunswick) à l’hiver 2024. De plus, sa pièce Tsunami (une production du théâtre l’Escaouette) est reprise en tournée au Québec et à Ottawa en 2024.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire du théâtre ?
J’ai eu la chance de grandir dans une famille où j’ai été exposée aux arts et encouragée à développer ma créativité. Déjà, très jeune, je rêvais d’être artiste, sans trop savoir ce que ça voulait dire ! Cependant, à l’école j’étais une enfant très timide. Lorsque je suis arrivée à la polyvalente Louis-J-Robichaud de Shediac, il y avait une professeure très dynamique, Mme Diane Albert-Ouellette, à la tête du comité de théâtre. Une amie m’a entraînée à l’audition et c’est là que tout a commencé. Cette professeure enseignait également un cours de théâtre que j’ai suivi en 11e année et c’est dans le cadre de ce cours que j’ai écrit ma première pièce, que cette même professeure nous a aidés à mettre en scène et nous sommes allés la présenter avec succès au Festival de théâtre jeunesse en Acadie. On le dit, les enseignant(e)s changent des vies. Si ce comité de théâtre n’avait pas existé à la polyvalente, je ne pense pas que j’aurais eu le même parcours. Le théâtre m’a permis de trouver ma place et de m’épanouir à l’école. C’est pourquoi je trouve tellement important d’exposer les jeunes au théâtre. C’est en s’ouvrant à toutes sortes d’expériences et d’opportunités qu’on se développe comme individu. Le théâtre devrait être présent dans toutes les écoles primaires et secondaires de la province.
Qu’est-ce qui vous a amené à l’écriture pour le cinéma et pour le théâtre ?
Je suis passionnée de lecture depuis toujours, le roman, le théâtre, la poésie, l’essai... C’est peut-être mon admiration sans bornes pour les écrivains et les écrivaines qui m’a amené à vouloir écrire à mon tour. En tout cas, au départ ce n’était pas tellement réfléchi, plutôt instinctif. Ensuite, j’ai eu des opportunités d’écrire pour le théâtre, par exemple, grâce au théâtre de L’Escaouette qui m’a commandé des textes ou encore à travers le théâtre Alacenne, une compagnie de création que j’ai fondé avec mon amie Anika Lirette et dont j’ai été codirectrice jusqu’en 2016. Le cinéma est venu un peu plus tard, c’est une autre histoire ! Écrire pour le cinéma et pour le théâtre, c’est aussi très différent.
Qu’est-ce qui vous stimule le plus de votre pratique ?
Je dirais la variété de projets sur lesquels j’ai la chance de travailler. Je découvre toutes sortes d’univers différents et je n’ai pas toujours les mêmes rôles et responsabilités, ma manière de faire les choses doit s’adapter aux besoins des projets. Je travaille beaucoup à la recherche et scénarisation d’émissions documentaires, ce qui m’amène à connaître des sujets ou des personnes que je n’imaginais pas rencontrer. Dans le cadre de la pièce de théâtre Becca, ce fut un honneur de collaborer avec la famille de Rebecca Schofield qui ont été vraiment généreux. Ce genre de collaboration, l’accueil réservé au spectacle partout au Nouveau-Brunswick, démontre pour moi le besoin que nous ayons de porter nos histoires (les histoires de chez nous ou qui nous touchent) à la scène. Au théâtre, je suis toujours tellement admirative du travail de la personne qui s’occupe de la mise en scène et c’est émerveillant de voir comment un texte prend vie tout à coup avec les interprètes. Le fruit de leur travail ou des équipes avec qui je travaille me donne envie de continuer à essayer de me dépasser.
Comment se déroule le processus de création d’une œuvre
Au départ, j’ai des idées floues — souvent une prémisse, un point de départ, un personnage, un lieu, un thème — qui vont m’obséder, mais ensuite il faut les écrire, et là, ça se complique ! Je sens que je tâtonne longtemps jusqu’à ce que je trouve quelque chose comme un rythme ou un ton de personnage qui va me guider. Le processus de création peut être très long dans mon cas et avoir des périodes de recul, où je ne touche pas au projet et je n’y pense même pas, m’aide beaucoup à mieux y revenir. J’ai aussi travaillé à plusieurs occasions avec des commandes d’écriture, dans ce cas, les contraintes sont toujours stimulantes. L’écriture est toujours un recommencement, dans le sens où, à mesure que j’avance, je me sens en même temps toujours en questionnement. Je pense qu’on peut bien sûr gagner en expérience, mais (selon mon expérience !) ça ne devient pas plus facile pour autant, bien au contraire, on devient plus exigeant par rapport à soi-même.
Selon vous, quel est l’impact du travail des artistes dans les communautés et dans l’ensemble de la province ?
La culture, les arts vivants, ou toutes les formes d’art qui nous amènent à sortir de chez nous, sortir d’une certaine zone de confort, se retrouver ou se reconnaître dans une œuvre à cause de sa langue, son territoire, son point de vue sur le monde, tout cela, c’est en grande partie ce qui crée le sentiment de communauté. Le Nouveau-Brunswick est une province rurale, avec un poids démographique faible en comparaison au reste du pays. Tellement de facteurs semblent nous pousser vers des formes d’isolement physique ou psychique, ce qui a de graves conséquences. Le travail des artistes est d’agir contre et d’être, au contraire, une source de rassemblement, un espace de réflexion et de transformation de la société. Je pense en ce moment à la pièce de théâtre Becca (produite par le Théâtre Populaire d’Acadie et Theatre New Brunswick) en tournée un peu partout dans la province en février et mars 2024. Ce projet bien spécial — un texte bilingue au sujet d’une héroïne de chez nous, Rebecca Schofield — me rappelle à quel point les gens ont soif de se faire raconter nos histoires. Bien sûr je ne pense pas qu’il faille se limiter, le travail des artistes dépasse nos frontières provinciales, mais dans mon propre travail, je me sens de plus en plus appelé à raconter le territoire sur lequel j’habite ; il y a tant à explorer au Nouveau-Brunswick que je ne connais pas. C’est ma manière d’aimer ma communauté et le lieu où j’ai planté racine.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes désireuses de faire du théâtre ?
De ne pas hésiter à s’inscrire à une formation ici dans la province ! Le Département d’art dramatique de l’Université de Moncton permet de rencontrer le milieu théâtral et de faire des rencontres qui seront certainement marquantes pour la suite. L’AAAPNB organise de nombreux ateliers et stages pour les artistes professionnels et des ressources pour ceux et celles qui souhaitent se lancer. On présente souvent les arts comme des métiers où il est difficile de « gagner sa vie » et c’est vrai que dans bien des cas, comme le mien, il faut être entreprenant et se sentir capable de gérer une certaine dose d’instabilité et la critique, par exemple, mais le théâtre (et le cinéma) offre des carrières stimulantes et il existe aujourd’hui de belles occasions au Nouveau-Brunswick. Au cinéma, par exemple, on semble souvent en manque de main-d’œuvre locale... Il y a de la place en masse ici pour être créatif et porter fièrement à la scène des histoires qui nous font vivre toutes sortes d’émotions.