Phil Comeau
Prix de la lieutenante-gouverneure pour l’excellence dans les arts
Lauréat 2024 du Prix en arts visuels
Phil Comeau est un cinéaste reconnu tant dans le domaine du documentaire que de la fiction. Ses œuvres ont été projetées dans des festivals de cinéma à travers le monde, où elles ont remporté plus de 700 prix. Résidant à Moncton, au Nouveau-Brunswick, il est une figure incontournable du cinéma acadien.
Témoin de l’Acadie contemporaine, Phil Comeau interroge l’histoire, la culture et l’identité, offrant une fresque remarquable qui retrace la résilience et l’émancipation du peuple acadien. Sa capacité à raconter des histoires captivantes et à dénicher des personnages émouvants, combinée à son talent pour simplifier des événements historiques complexes, lui a valu une reconnaissance grandissante auprès du public.
Pour sa contribution à la culture et au cinéma acadien, Phil a reçu de nombreuses distinctions, dont l’Ordre du Canada, l’Ordre du Nouveau-Brunswick, et l’Ordre des francophones d’Amérique. Il a également été récemment promu au grade d’Officier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la France. Son film indépendant Belle-Ile en Acadie lui a valu un record mondial Guinness pour le plus grand nombre de prix remportés par un documentaire.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir artiste ?
Les arts m'ont toujours passionné. Enfant, je participais à des pièces de théâtre, je jouais du piano, mes dessins remportaient des prix et j'avais même créé un village imaginaire dans la forêt derrière le chalet familial où je faisais des visites guidées.
Mais ce qui me fascinait le plus, c'était le cinéma. Mon père était le seul dans ma communauté à posséder une caméra de film. Il réalisait des 'home movies' avec sa petite caméra 8 mm, devant changer de bobine toutes les sept minutes. Ce médium artistique 'de la mémoire' m'intriguait profondément. À 13 ans, mon père m'a confié sa caméra, et ce fut le coup de foudre : j'avais un désir irrésistible de créer des images. Mon premier film, à 13 ans, était consacré à une journée dans la vie de notre chien Pitou. J'épargnais chaque sou pour payer mes repas à l’école pour acheter de la pellicule.
À 16 ans, mon école a reçu une caméra vidéo, et j'en ai profité pour fonder un club vidéo ainsi qu'un club de théâtre. Dorénavant, il ne fallait plus payer pour faire du cinéma.
Comment votre formation et vos expériences ont-elles contribué à votre créativité et à votre innovation dans votre pratique artistique ?
En tant que directeur de deux clubs dans mon école, j'ai eu l'opportunité d'inviter des metteurs en scène et acteurs professionnels pour animer des ateliers. Lors de ma dernière année scolaire, nous avons participé à un festival d'art dramatique à Halifax avec ma pièce “The Freak and the Fuzz”. Nous avons remporté les prix de la Meilleure pièce de théâtre ainsi que les prix des Meilleurs comédiens masculins et féminins. Recevoir un trophée de la taille de la Coupe Stanley pour le club a été une source d'inspiration immense!
Cela m'a poussé à étudier l’art dramatique à l’Université de Moncton. Ensuite, grâce à une bourse France-Acadie, j'ai passé un an à Paris, où j'ai eu la chance de faire un stage sur des longs métrages professionnels avec des cinéastes renommés tels que François Truffaut (La femme d'à côté), Alain Corneau (Le choix des armes), José Pinheiro (Les mots pour le dire), Jean Becker (L’été meurtrier) et Claude Sautet (Garçon). Par la suite, j'ai été assistant-réalisateur pour le cinéaste québécois Jean Beaudin (Mario). Ces expériences, incluant mes premiers films professsionnels pour l’Office national du film du Canada, m'ont profondément enrichi et ont nourri ma pratique artistique. Depuis ceci, chaque film que je réalise ajoute à mon vécu.
Qu’est-ce qui vous stimule le plus de votre pratique ?
Ce qui me stimule le plus dans ma pratique, c'est que chaque nouveau film, qu'il s'agisse d'un documentaire ou d'une fiction, aborde un sujet différent et met en lumière des personnes uniques. J'apprécie particulièrement d'explorer une approche originale pour chaque projet, ce qui me permet de vivre une expérience nouvelle à chaque fois.
Qu’est-ce qui anime votre créativité ?
Ma créativité est animée par la diversité des idées, des expériences humaines et la richesse de ma culture. À chaque matin et je fais la lecture des journaux acadiens, québécois et internationaux. En parcourant ces articles, j’imagine si ces histoires pourraient donner lieu à de bons ou de mauvais films. Puis, je m’installe devant mon ordinateur et laisse mes doigts danser sur le clavier.
Comment le fait de vivre et de travailler au Nouveau-Brunswick vous a-t-il aidé et/ou inspiré votre cheminement ?
Le cinéma acadien au Nouveau-Brunswick est encore jeune, que 50 ans, avec moins d'une dizaine de films produits chaque année. Cela signifie qu’il reste une multitude de sujets inexplorés, offrant une richesse inestimable pour la créativité. Les budgets y sont souvent modestes, ce qui pousse à faire preuve d'une ingéniosité accrue pour raconter des histoires qui paraissent plus grandes que les moyens disponibles. Cette contrainte, loin d’être un frein, stimule l’imagination et m’incite à chercher des solutions innovantes, tant sur le plan technique que narratif, pour donner vie à des projets ambitieux.
Pourquoi pensez-vous qu'il est important de faire de l’art et s’investir dans une démarche artistique?
Je crois profondément que l'art est essentiel parce qu'il nous permet de mieux comprendre le monde, de partager des idées et d’explorer des émotions d'une manière unique. S’investir dans une démarche artistique, c’est prendre part à une conversation humaine qui transcende les frontières, le temps et les différences culturelles. L’art a le pouvoir de provoquer des réflexions, de questionner l’ordre établi, mais aussi de guérir et d’unir les gens autour d'expériences communes. Il est une forme d’expression qui donne une voix à ceux qui en ont parfois peu, et il nous aide à mieux nous comprendre en tant qu'individus et en tant que société.
En m'investissant dans l'art, je trouve non seulement un exutoire créatif, mais aussi une façon de contribuer à cette réflexion collective acadienne, de raconter des histoires qui peuvent toucher, inspirer, voire transformer ceux qui les reçoivent. L'art, en somme, est un moyen de rendre le monde plus riche et plus humain.
Vous explorez souvent le thème de la diaspora acadienne dans vos oeuvres. Y a-t-il des histoires ou des personnages spécifiques qui vous tiennent à coeur?
Depuis une dizaine d’années, le thème de la diaspora acadienne revient souvent dans mon travail, car il incarne à la fois la quête d’identité et la résilience des Acadiens. L’Acadie du Nouveau-Brunswick compte que 250,000 acadien.ne.s. Dans le monde, il y a des millions de personnes qui ont des racines acadiennes, surtout au Québec, Louisiane, Maine et en France. Think Big.
Ce qui me touche particulièrement est celle des Acadiens qui, après la Déportation, ont cherché à conserver leur sens d’appartenance, que ce soit à travers des tentatives de retour en Acadie ou en s'implantant ailleurs.
Les personnages qui me tiennent à cœur sont souvent des individus déchirés entre leurs racines et leur désir de s’intégrer dans un monde plus vaste, mais qui, au fond, sont animés par une volonté de préserver leur héritage culturel. Je m’inspire aussi de figures contemporaines qui, malgré les siècles passés, continuent de lutter pour faire vivre la culture acadienne dans un monde globalisé. Ces personnages permettent d’explorer l’identité, l’exil et la mémoire collective, tout en posant la question : qu’est-ce que cela signifie d’être Acadien aujourd’hui ?
Grâce à votre travail, qu’avez-vous appris sur vous-même et sur la communauté artistique du Nouveau-Brunswick ?
En travaillant au cœur de la communauté artistique du Nouveau-Brunswick, j'ai appris à mieux comprendre ma propre sensibilité et ma passion pour l'expression créative. J'ai découvert que les artistes sont des êtres profondément connectés à leurs émotions et à leur environnement, ce qui les distingue de la majorité.
Aujourd'hui, mon but est simplement de toucher les gens, de les faire réagir, de leur faire ressentir les émotions que j'ai vécues en tournant le film. Lorsque je suis en pleine création, c'est le moment où je me sens le plus heureux.”
Selon vous, quel est l’impact du travail des artistes dans les communautés et dans l’ensemble de la province ?
Parmi les disciplines artistiques, les musiciens attirent le plus de public, mais le cinéma acadien réussit également à remplir des salles, y compris le grand théâtre Capitol à Moncton.
Le travail des artistes a un impact significatif sur les communautés et la province. C’est un renforcement de l’identité culturelle par les artistes qui préservent et la promeuvent nos valeurs. L’art peut maintenir vivante l’histoire et la langue tout en renouvelant le sentiment d’appartenance. Le travail des artistes est aussi importante pour la cohésion sociale pour favoriser le dialogue entre générations et origines, créant des liens au sein des communautés et avec le reste de la province. Les arts créent de la dynamisme économique et même touristique avec des événements culturels qui attirent les visiteurs et soutiennent les entreprises locales, tout en rendant les environnements plus attractifs pour les jeunes. Comme impact éducatif, les artistes enrichissent les perspectives des jeunes en leur offrant des outils d’expression et une vision alternative de la société. Finalement, l’art permet de dénoncer les injustices sociales tout en offrant une plateforme pour imaginer des solutions. Dans l’ensemble, les artistes sont des vecteurs de transformation, que ce soit au niveau de l’identité, du dialogue ou du développement économique et social, et leur travail se reflète bien au-delà de leur communauté.
Décrivez ce dont vous êtes le plus fier au cours de votre carrière ?
Je suis particulièrement fier que près de la moitié de mes films et émissions de télévision aient pour thème les Acadiens. De plus, je tiens à souligner ma fierté d'avoir toujours évité de représenter la violence à l'écran. Bien qu'il aurait été plus rentable financièrement de choisir des sujets plus brutaux, j'ai délibérément fait le choix de me consacrer à des œuvres pacifiques, en restant fidèle à mes convictions.
Vos films et documentaires se sont mérités plus de 700 prix aux festivals de films au Canada et à l'étranger. Est-ce qu'il y a un ou plusieurs prix sont vous êtes particulièrement fier ?
Je suis surtout fier des prix remportés en Acadie. Parmi eux, ceux qui me touchent le plus sont les prix du public. Au Festival international du film francophone en Acadie (FICFA) à Moncton, mes films ont reçu nombreux prix du public au travers les années, dont les deux dernières années consécutives pour mes œuvres “L’Ordre secret” et “Racines, diaspora et guerre”. À l’international, ce sont les distinctions obtenues en France qui me rendent le plus fier.
À quoi ressemblerait le projet de vos rêves ?
Je rêve qu’en Acadie qu’on puisse produire plus de films long métrages de cinéma. Les émissions de télévision ça va, mais nous avons besoin d’une filmographie plus dense et plus prestigieuse comme peuple.
Y a-t-il des histoires acadiennes que vous n'avez pas encore explorées et que vous aimeriez aborder dans vos futurs projets ?
Oui. À peu près 101 histoires acadiennes…
Pour en savoir plus sur les Prix de la lieutenante-gouverneure pour l’excellence dans les arts, consultez le site : https://artsnb.ca/web/awards/lieutenant-governors-awards/?lang=fr