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Sébastien Lord-Émard

Photo SLE2023
Sébastien Lord-Émard

Sébastien Lord-Émard (il/lui/iel) est un auteur et travailleur culturel queer acadien, résident non-invité sur le territoire traditionnel et actuel des peuples de la confédération Wabanaki, spécifiquement le district Sikni’kt de Mi’kma’ki. Formé.e en philosophie et en histoire à l’Université du Québec à Montréal, mais ayant choisi de s’établir à Moncton en 2010 pour vivre dans la seule province officiellement bilingue au pays, Sébastien Lord-Émard est passionné.e par le monde de l’édition et de la littérature, mais aussi par les arts visuels (à propos desquels iel écrit régulièrement) et par le théâtre (siégeant sur le conseil d’administration de Satellite Théâtre), entre autres. Comme de nombreuses personnes évoluant dans les sphères artistiques et culturelles, il possède de nombreuses cordes à son arc : animateur, intervieweur, réviseur linguistique, consultant sur tout ce qui concerne l’Acadie et la construction identitaire, rédacteur et gestionnaire de projets. Actuellement, iel occupe la coordination de la Revue acadienne de création littéraire Ancrages, la seule revue de création littéraire francophone de l’Est du Canada, fondée en 2004 à Moncton. Par le passé, Sébastien Lord-Émard fut notamment à l’emploi des éditions Bouton d’or Acadie pendant sept ans, au cours desquels il fut appelé à diriger quelques titres marquants et primés, dont Histoire de galets (de Marie Cadieux, illustré par François Dimberton), Un gamin acadien / A Boy from Acadie (de Beryl Young, traduction française de Robert Pichette, illustrations de Maurice Cormier), et Le trésor de Memramcook (de Dominic Langlois, illustré par Maurice Cormier). Ensuite, il a fait un détour par le communautaire en devenant chargé de projets puis directeur du développement pour la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick (SANB) pendant plus de trois ans, pilotant entre autres la publication d’un cahier d’activités pour enfant et la réédition d’une biographie du grand militant acadien Dr A.-M. Sormany (aux Éditions de la Francophonie). Pour sa part, Sébastien Lord-Émard a publié ses propres essais et ses poèmes dans plusieurs revues et catalogues d’exposition, ainsi qu’un « Égoportrait du poète en burnout » dans l’ouvrage collectif En cas d’incendie, prière de ne pas sauver ce livre, publié par les éditions Prise de parole en 2021.

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir artiste ?

Depuis le plus longtemps que je me souvienne, j’ai aimé écrire. Dans mon enfance, je faisais ce que je ne savais pas encore être des « zines » (ou fanzines). Mais le chemin fut semé d’embûches. Après avoir essuyé un refus pour un premier recueil de poésie à 19 ans (la lettre de l’éditeur était d’une cruauté gratuite), je me suis plutôt dirigé vers l’étude de l’histoire puis de la philosophie à l’université, ce qui ne fut pas non plus une partie de plaisir. À 28 ans, je suis parti refaire ma vie à Moncton, sans espérer quoi que ce soit du côté de l’écriture. C’était l’époque fabuleuse suivant la crise économique de 2008, les merveilleuses années 2010. Moncton était vibrante d’une vitalité artistique qui me subjuguait : expositions, happenings, fêtes, performances, lectures de poésie, etc. Plusieurs occasions se sont présentées pour que je revienne à la pratique de l’écriture : une artiste française, Alex Carroll, exposant conjointement avec le photographe et sculpteur André Lapointe à la Galerie 12 du Centre culturel Aberdeen, me demanda d’écrire quelque chose à propos de ses œuvres; au même moment, je fus élu sur le conseil d’administration de la Galerie Sans Nom, et j’eus l’opportunité d’écrire des textes sur des œuvres présentées dans cette institution phare des arts contemporains en Acadie. Un jour, alors que je participais à quelque événement au Aberdeen, je pris mon courage à deux mains et lus de peine et de misère un de mes poèmes. À la fin, un homme que je reconnus immédiatement, le poète Raymond Guy LeBlanc, l’auteur de Cri de terre, vint me voir et, sans parler, me fit un signe approbateur, comme s’il avait vu au-delà de mes bégaiements et de mon malaise, quelque chose comme un potentiel à explorer. Nous avons gardé contact, de loin en loin, jusqu’à sa mort prématurée. Je lui serai à jamais reconnaissant. J’ai senti une réelle proximité intellectuelle avec ce pionnier, du fait de notre commune étude de la philosophie ainsi que de notre implication à des décennies d’écart au sein de la SANB. Il m’a donné une confiance dans un potentiel que je ne suis même pas sûr encore d’incarner 15 ans plus tard. Depuis, j’ai continué à suivre une double voie(x) : la poésie et les essais sur les arts visuels. Je suis fier d’avoir créé des œuvres, au fil des ans, qui m’ont permis de garder une étroite relation avec les arts visuels. Par exemple, j’ai travaillé avec l’artiste visuelle Carole Deveau sur un livre artisanal, Et in Arcadia Ego, dont on ne trouve à ce jour qu’un seul exemplaire dans le monde. Quelques années plus tard, elle et moi avons été jumelé.e.s pour créer un vidéo-poème dans le cadre du Festival acadien de poésie de Caraquet, Cueillir les liens. J’ai aussi signé un texte dans le catalogue d’exposition d’un artiste que j’aimais tellement, Guy Arsenault, Saynètes dans la picture window, dont la commissaire était sa fille, l’artiste multidisciplinaire Maryse Arseneault. Sans l’apport des arts visuels acadiens dans ma vie, sans la bénédiction de certaines personnes comme Raymond, je ne crois pas que j’aurais une pratique littéraire professionnelle…

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'Et in Arcadia Ego'
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'Et in Arcadia Ego'

Comment le fait de vivre et de travailler au Nouveau-Brunswick vous a-t-il aidé et/ou inspiré votre cheminement ?

Je dis souvent que n’eut été de mon choix de vivre au Nouveau-Brunswick, je n’aurais pas bénéficié de toutes les opportunités d’emploi et d’engagement pour lesquelles je suis tellement reconnaissant.e! La communauté francophone et acadienne du Nouveau-Brunswick est vibrante, accueillante, stimulante. On m’a donné accès, ici, à des possibilités qu’une grande ville comme Montréal n’aurait pas pu m’offrir, j’en suis convaincu.e. De plus, étant d’origine acadienne du côté de ma mère, bien qu’élevé.e au Québec, reconnecter avec mes racines fut une expérience bouleversante et formatrice, qui a inspiré énormément mes écrits. Même les obstacles et les défis que l’on vit en tant que francophone au Nouveau-Brunswick ont été la bougie d’allumage de mon engagement citoyen et de la rencontre d’un grand nombre de personnes inspirantes, et de cela aussi je suis reconnaissant.e.

Pouvez-vous partager une expérience marquante ou un moment décisif dans votre parcours artistique ?

Il y a eu plusieurs événements marquants qui ont jalonné mon parcours artistique, mais le plus important est sans contredit mon embauche par les éditions Bouton d’or Acadie en 2013. À l’époque, comme pas mal de travailleurs culturels et artistes en début de carrière, j’étais barista et gérant dans un café (le Clémentine). Travailler dans ce haut lieu de rencontre de la faune urbaine éclectique du tournant des années 2010 m’a permis de faire la connaissance de Marie Cadieux, cinéaste et femme de lettres qui revenait s’installer en Acadie après une couple de décennies en Ontario et au Québec. Nous avons sympathisé et même manifesté ensemble lorsque le programme de crédit d'impôt pour les productions audiovisuelles a été réduit. C’est elle qui a vu en moi le potentiel pour travailler dans une maison d’édition, bien que j’eusse déjà fait quelques expériences en ce sens précédemment. Sa sœur Louise Imbeault, fraîchement retraitée de Radio-Canada Acadie, venait de racheter la maison Bouton d’or Acadie à sa fondatrice, l’extraordinaire Marguerite Maillet. Bénéficiant d’une subvention du Fonds du livre du Canada, elles me proposèrent d’occuper un poste de stagiaire en édition pour six mois. Eh bien, j’y suis resté sept ans! Devenu chargé de projets, j’appris à leur côté pratiquement tous les aspects de l’édition, m’occupant principalement de direction littéraire, d’organisation d’événements, de communications, de gestion d’entrepôt, de facturation et d’expédition, sans oublier la rédaction de demandes de subvention et la gestion des droits d’auteur. Si, aujourd’hui, j’occupe la coordination de la Revue acadienne de création littéraire Ancrages et que je propose mes services comme mentor auprès d’auteurices, c’est grâce aux conseils prodigués et à la confiance de Louise et Marie. Non seulement m’ont-elles encouragé à me former et à apprendre à leurs côtés, mais elles m’ont aussi toujours soutenu dans mes autres projets, que ce soit lors de mes engagements dans la cause acadienne ou dans mes projets d’écriture. Je leur dois beaucoup! C’est une dette dont je ne saurais m’acquitter jamais, mais qui restera en moi comme une reconnaissance et une fidélité infinies à leur égard.

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Comité de rédaction actuel d’Ancrages.

Comment vos expériences en tant qu'artiste influencent-elles votre travail en tant que coordinateur de la revue Ancrages ?

Il y a exactement dix ans, en 2005, je naissais véritablement au monde de la création littéraire par la publication de mon premier texte… dans la revue Ancrages! Première expérience de publication, qui fut très positive, d’une nouvelle littéraire inspirée par le thème proposé : « fait divers ». J’ai toujours admiré la liberté et l’ingéniosité des personnes qui animent cette revue depuis vingt ans : au fil des ans, j’ai pu contribuer à d’autres numéros de la revue, mais aussi lire des numéros tellement stimulants artistiquement! En 2024, contacté.e par la coordinatrice d’alors, Rachel Duperreault, j’acceptai de soumettre ma candidature pour la remplacer. Le comité de rédaction m’offrit alors le poste et je débutai le 1er août. C’était parfait : je venais de faire le saut comme travailleur autonome, et ce poste à temps partiel me permettait de concilier mes autres contrats tout en m’accordant du temps pour ma création. Évidemment, le fait d’avoir été à l’emploi de Bouton d’or Acadie m’a donné l’expérience de la gestion en édition, mais c’était quand même un défi que je n’ai pas pris à la légère. Avant moi, de Rose Després jusqu’à Rachel en passant par Sonya Malaborza et d’autres femmes extraordinaires, la revue a connu de grandes et belles années. Mon objectif est de poursuivre sur cette lancée et de multiplier les projets, ainsi que d’augmenter la présence de la revue dans les événements culturels et littéraires partout au Canada français. En tant qu’auteur, je suis redevable à cette revue de m’avoir permis de publier dans un cadre professionnel pour la première fois : je souhaite donc qu’elle poursuive cette mission pour bien des années encore.

Comment voyez-vous le rôle d’Ancrages dans la préservation et la promotion de la langue et de la culture acadiennes ?

Ancrages occupe une place toute particulière dans l’écosystème littéraire au Nouveau-Brunswick et en particulier en Acadie, car elle se situe à la jonction de plusieurs secteurs névralgiques. Fondée dans la foulée de l’effondrement tragique de la revue Éloizes, sa prédécesseure qui datait des années 1980, la Revue acadienne de création littéraire Ancrages (c’est ainsi qu’elle s’appelle officiellement) a vécu ses propres aléas. Après quelques numéros imprimés sous la direction de la grande poète Rose Després, un essoufflement s’est fait sentir après son départ, avec pour conséquence quelques années de dormance. C’est un événement littéraire, Libéré(e) sur parole, qui réveillera la revue en 2009. Mais il faut aussi souligner le rôle important qu’a joué l’Association acadienne des artistes professionnel.le.s du Nouveau-Brunswick (AAAPNB) dans le rétablissement et la pérennisation de la revue au milieu des années 2010. Sans oublier celui joué par des professeurs de lettres à l’Université de Moncton, notamment David Décarie (qui est là depuis pratiquement les débuts de la revue). À la fois soutenue par des gens et des institutions, profondément libre et indépendante, la revue est demeurée toutes ces années un phare dans la découverte de nouveaux talents littéraires qui ont ensuite été publiés aux éditions Perce-Neige, comme Jonathan Roy par exemple. Ancrages est un laboratoire et un incubateur crucial de la création littéraire en français en Acadie.

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Comment voyez-vous l'évolution de la revue dans les années à venir, et quel rôle espérez-vous jouer dans cette évolution ?

Depuis le milieu des années 2010, la revue Ancrages est offerte en format numérique seulement, sous forme de site web à consulter. Ce fut une décision éclairée et visionnaire, permettant la combinaison de l’écrit avec l’audio-visuel, ainsi qu’une diffusion très large sur Internet, à travers toute la Francophonie. Je crois qu’en 2025, d’autres avenues peuvent être explorées, dont la création de PDF et d’ePUB accessibles, que les gens pourraient télécharger et plus facilement feuilleter, sans avoir besoin d’accès à Internet. Une autre piste à envisager serait le retour à l’impression papier de certains numéros (hors-série? sous forme de zines?). Tout cela va dépendre ultimement de la volonté du comité de rédaction, qui est le cœur et le cerveau derrière Ancrages. J’espère avoir la chance d’accompagner la revue dans ces explorations. Un autre élément qui me tient personnellement à cœur est le versant événementiel de la mission d’Ancrages. Grâce à des partenariats avec le Festival acadien de poésie à Caraquet et le Salon du livre d’Edmundston, notamment, Ancrages propose des formations appelées De la plume au micro, qui permettent à des auteurices de tout niveau d’acquérir de nouvelles compétences rédactionnelles et scéniques. De la même façon, la revue a débuté, sous l’impulsion de la poète Georgette LeBlanc, une série de soirées de micro ouvert appelés « Micro+brasserie », présentement en cours une fois par mois à Moncton (mais l’idée serait aussi de proposer la formule ailleurs dans la province). Ce ne sont que quelques exemples. Je tiens à ce qu’on crée aussi des lancements pour les numéros, ce qui avait été abandonné durant la pandémie. Ultimement, j’aimerais augmenter le financement de la revue pour lui permettre de la propulser encore plus loin, lui permettant d’élargir encore davantage sa portée et son effet sur l’écosystème littéraire au Nouveau-Brunswick.

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