
Serge V. Richard

Serge V. Richard est un artiste visuel multidisciplinaire établi à Kedgwick, au Nouveau-Brunswick, dont le travail englobe la photographie, la sculpture, le dessin et l'installation. Profondément influencée par la nature, l'introspection et la vulnérabilité humaine, sa pratique invite les spectateurs dans des espaces poétiques où les mondes intérieurs et extérieurs se rencontrent.
Né à St-Louis-de-Kent, Richard a étudié le graphisme au Holland College de Charlottetown, puis les beaux-arts à l'Université de Moncton. Il a commencé sa carrière comme graphiste, illustrateur et peintre scénique pour le Théâtre Nouveau-Brunswick et a travaillé sur des productions cinématographiques avant de fonder h'Art Creation Studios Inc, une entreprise de design commercial.
Pendant plus d'une décennie, Richard s'est concentré sur la peinture figurative à grande échelle et le dessin à l'acrylique. Vers l'an 2000, il s'est tourné vers l'abstraction et le geste intuitif, marquant ainsi un changement dans son langage visuel. Cette évolution s'incarne dans la série Enveloppé d'une fragilité humaine, où les formes fluides et les surfaces stratifiées évoquent la mémoire et la profondeur émotionnelle.
Ces dernières années, l'exploration artistique de Richard s'est élargie à la macrophotographie et à la sculpture. Sa série en cours Mini-mondes / Tiny-Worlds (2019-présent) capture les détails négligés des microcosmes naturels, incorporant parfois du verre fusionné pour accentuer le jeu de la lumière, de la texture et de l'échelle.
Son travail a été présenté dans des expositions individuelles et collectives à travers le Nouveau-Brunswick et l'Ontario. En 2014, il a été sélectionné comme l'un des quatorze artistes pour Imagined Dialogues, une exposition intergénérationnelle au musée des beaux-arts Beaverbrook pendant le Congrès mondial acadien à Edmundston.
Richard a reçu des subventions de recherche, de création et de développement de carrière d'ArtsNB, de la Fondation Sheila Hugh Mackay et du Conseil des Arts du Canada. Il partage activement ses connaissances dans le cadre de programmes communautaires comme GénieArts et Une École, un Artiste, qui favorisent la créativité dans les écoles locales. Il est membre de CARFAC, de CARCC, d'ArtsLink NB et de l'Association des artistes professionnels du Nouveau-Brunswick.
Grâce à une pratique à la fois ancrée et exploratoire, Richard continue de créer des œuvres qui reflètent la fragilité et la résilience de la condition humaine et du monde naturel.

Commençons par le début. Qu'est-ce qui vous a d'abord attiré vers la création artistique? Y a-t-il eu un moment où vous avez réalisé : « C'est ce que je dois faire » ?
Je ne crois pas qu'il y ait eu un moment précis. Ça s'est développé peu à peu, comme une graine plantée très tôt. Mon désir de créer visuellement me vient de l'enfance, et à mon avis, c'est naturel pour tous, mais le degré de volonté varie d'une personne à l'autre.
Mon père travaillait le bois, opérais un moulin à bois dans le temps /une scierie, dessinait ses propres plans de maison et les construisait. Ma mère était une couturière très créative, toujours occupée à transformer ou inventer des objets avec ce qu'elle avait sous la main. Elle faisait même du moulage avec de la résine à la maison—c'était inhabituel, mais tellement amusant pour nous. Deux de mes frères, Martial et Gaston, dessinaient aussi. Dès l'âge de six ans, j'apprenais la base des perspectives. Cette attention positive autour de mes dessins m'a beaucoup encouragé à continuer.
Je me souviens surtout de Martial, qui dessinait souvent comme échauffement—juste des gribouillis, puis tout à coup une voiture, un avion, une scène complète émergeait du papier. C'était fascinant. Cette magie-là m'habite encore. Ce n'était pas "ceci est ma vocation", mais plutôt une série de petits moments d'émerveillement, qui ensemble ont tracé un chemin.
Comment votre parcours d'artiste a-t-il évolué au fil du temps? Y a-t-il eu des expériences clés ou des formations qui ont façonné votre façon de créer aujourd'hui?
Mes parents m'ont beaucoup encouragé à prendre une décision de carrière pour moi-même et dans le temps j'aimais pas être obligé de travailler dans une obligation de 9-5 et vu que j'étais 'game' de faire des enseignes, logo et murales dans le temps ce travail à la pièce m'a permis de me 'sauver' si tu veux et ouvrir la porte et sauté dans l'inconnu.
Après un cours de deux ans au CCNB pour le réparage et peinture de l'auto j'ai commencé à faire peinturer avec l'airbrush (l'aérographe). Les deux ans à Holland College PEI pour apprendre le dessin commercial. Cette base de graphiste m'a beaucoup aidé et rassuré d'être financièrement indépendant.
J'ai donc commencé dans les arts graphiques, la mise en page, enseigne/signalisation, puis peintre scénique et 'props' en théâtre et le cinéma. J'ai travaillé comme peintre scénographe, fabricant d'accessoires, concepteur de mascottes, muraliste, et plus encore. Une bonne partie de mon parcours initial était dans le domaine commercial.
Puis, dans les années 90, j'ai pris des cours à l'Université de Moncton. J'ai eu la chance de participer au cours de dessin de Christian Bailegeron et Marie-Hélène Allain. Deux approches très différentes mais très intuitif entre eux, deux personnes enrichissantes. J'ai retrouvé ce sentiment d'authenticité, ce plaisir brut d'apprendre et de découvrir.
Vers l'an 2000, demeurant à Fredericton, j'ai fait la rencontre de l'artiste visuel Rick Bruns, il vivait proche de chez moi et son studio d'art aussi. J'ai éventuellement pris courage demandé à Rick s'il voudrait bien voir mes dessins dans quelques de mes cahiers. Sa réponse fut assez facile à comprendre « Avez-vous déjà travaillé à plus grande échelle ? Vos croquis semblent vouloir quitter la page... Avez-vous pensé à travailler plus grand ?... Quoi que vous fassiez, continuez à le faire ! »
Une chose emporte une autre il m'encourage d'appliquer pour une bourse d'émergence à artsnb et un an plus tard Getting in Touch est installé à la Saint John Art Gallery, puis You'll See It When You Believe It à la mini-galerie de Radio-Canada.
Je me suis tourné vers l'abstraction, vers une approche plus intuitive, intérieure. C'est là qu'est née ma série Enveloppé d'une fragilité humaine.
La photographie était un outil de documentation et référence pour m'inspirer dans mes peintures. C'est aussi autour de ce temps-là que la photographie a pris plus de place, avec un intérêt pour encadrer et faire voir la beauté de la nature et de la vie; les paysages, les microcosmes et les ambiances naturelles. Une sorte de synergie et un lien conducteur se développe encore et espérant, toujours. Le mouvement du courant de la vie, de ses éléments... l'expansion et sa contraction, le micro et le macro. C'est comme si j'essayais de voir/ comprendre plus large... les secrets de cet univers. Le bois, le métal et le verre—explorant souvent ces contrastes de textures et les tensions entre douceur, transparence et dureté.

Avez-vous eu des moments de doute ou de déconnexion en cours de route?
Tellement. J'ai douté de moi, souvent. L'impression de ne pas être « assez bon », ou même de me demander si ça valait la peine du tout.
Un jour, j’ai écrit :
"Parfois, je me sens tellement éloigné et coupé du monde de l'art et de l'inspiration - comme si je n'en voulais plus, comme si cela ne m'était pas destiné... ni à personne d'autre. Je ne suis pas en sécurité, je me sens seul, confus... aveugle ou sourd. Parfois, tout cela a besoin d'espace pour sortir, et dans cet espace, cela transcende et libère un peu les canaux."
Il y a quelques années, au début de la guerre en Ukraine, quelque chose en moi s'est brisé. Les images à la télé, les émotions refoulées… il fallait que ça sorte, pas de manière graphique ou choquante, mais symboliquement, pour comprendre l'oppression, la douleur, l'explosion de l'intérieur. Ces dessins presque vivant par eux-mêmes, tel comme si j'étais l'observateur et même si je dirigeais mon choix de continuer j'observais mes préférences se dessiner devant mes yeux. Je pense que nos vies sont un peu plus flexibles qu'on ose y croire.
C'est là que mon art est redevenu une démarche de guérison.

Le procédé : de l’idée à l’œuvre
Pouvez-vous nous expliquer comment une oeuvre prend vie ? Commencez-vous par une idée précise ou se développe-t-elle au fur et à mesure que vous travaillez ?
Cela dépend. Parfois, j'ai un concept en tête, alors je l'esquisse tout de suite et j'explore d'autres directions. Une fois sur le papier, il se peut que je le voie différemment et que je travaille à partir de là - en le modifiant, en le rejetant, en le développant. Parfois, je vais dans un environnement virtuel avec un casque et j'esquisse l'idée en 3D - je l'agrandis, je la rapetisse, je vois à quoi elle ressemblerait et ce qu'elle donnerait en grandeur nature. Ce n'est pas la réalité, mais c'est incroyablement amusant de travailler avec. Je peux me promener autour, me faire une idée.
Pour mes dessins récents, je commence là où je me sens bien intuitivement. Il me suffit de m'écarter du chemin et de faire confiance au processus automatique. Je joue avec la composition et je réagis à ce qui se passe sur la surface - je travaille avec le contraste : les détails nets côtoient le flou, le contrôle côtoie la spontanéité. Le processus est un équilibre entre l'intention et l'intuition. "Tout est comme il se doit. La plupart du temps, je crée, je maintiens, je détruis, je crée à nouveau - et je répète.
Par exemple, je peux commencer par un « échauffement » à l'aide d'un stylo, d'un marqueur ou autre, et me laisser aller. Ma main bouge librement pendant que je suis attentif à ce qui se passe. Je renonce à essayer de faire quelque chose de joli, de sombre ou de significatif. Je laisse tomber le résultat. Mes pensées se calment - le bruit de mon ego s'apaise. À ce stade, le résultat n'a plus d'importance. Il devient une sensation. Finalement, le lien entre le corps et l'esprit devient naturel et libre... les marques deviennent rythmiques et presque automatiques. Le son danse sur le papier comme une rivière qui passe. Je lui donne une présence et une conscience. Plus mes pensées sont calmes, plus le flux est autorisé - et la magie opère. C'est comme si tout se passait exactement comme prévu. Elles deviennent comme un langage visuel que je n'ai pas encore complètement décodé.
Plus vous créez, plus le fil conducteur devient clair, même si vous travaillez sur différents supports. Votre essence transparaîtra inévitablement, offrant des aperçus de l'inconnu.
C'est à ce moment-là que les choses commencent à se concentrer - plus je travaille et plus je joue. Chaque dessin me semble intime, sans être lié à ma propre perception. Chacun voit quelque chose de différent, quelque chose qui lui parle. L'art est le reflet de chacun.

Qu'est-ce qui vous passionne le plus dans votre pratique? Est-ce le processus, la découverte, l'œuvre finale, ou autre chose?
Probablement tout ça à la fois—le processus, la découverte, le résultat, et ce « quelque chose d'autre » qui ne s'explique pas. J'adore expérimenter. C'est comme une recherche, une quête intuitive. Je me sens parfois comme un scientifique qui joue avec des matériaux, des idées, des concepts.
Il y a ce livre de Roger Von Oech —*Expect the Unexpected or You Won't Find It*— et c'est un peu ça pour moi.
Mes sculptures naissent souvent de jeux et d'essais. J'explore les tensions entre matières : le verre qui peut prendre jusqu'à une semaine de cuisson selon l'épaisseur, le métal rigide, le bois chaleureux. Parfois, j'utilise des éléments répétitifs qui emprisonnent ou enveloppent un sujet vulnérable.
Et puis il y a le plaisir de réagir à l'instant, à ce qui se présente devant moi. J'aime documenter ce que je vois, dans les forêts, dans le quotidien, dans l'intime et vulnérabilité du moment.
Une dernière citation de Von Oech : « Il est difficile de faire jaillir sa créativité si l'on est toujours pragmatique, si l'on suit des règles, si l'on a peur de faire des erreurs, si l'on ne regarde pas vers l'extérieur ou si l'on est sous l'influence de l'un des autres verrous mentaux. » - Roger Von Oech, A Whack on the Side of the Head: How You Can Be More Creative.
Y a-t-il des outils ou de nouveaux médiums qui vous intéressent aujourd'hui?
Pour commencer, ça dépend le temps de l'année :) de la journée, des événements personnels ou globaux ! S'il fait beau dehors autour de la maison et du studio je vais avoir tendance à faire un peu de construction et patentes en métal. Durant ces activités naturelles ou nécessaires il y a souvent des morceaux de bois ou métal, des fougères dans le chemin de la buche et la petite mouche qui s'amusait avec la fleur dans la rosée du matin. Parfois, le son de la pluie sur le toit de métal au studio éveille un rythme... primitif? off-beat, intriguant... J'enregistre et j'écris, je prends note et j'écoute. Les éléments de la nature sont indirectement des outils, du moins d'inspiration et de présence, et vu que c'est dans cette présence de vie.
Pour les outils techniques comme tel ou médium? Encore là, je suis un peu partout, pour comprendre la présence. (Oui je dis bien la présence) J'aime apprendre et comprendre toute sorte de choses, dans d'autres domaines que l'art visuel. Ça m'aide à sortir de ma boîte. Que ça soit mes dessins sur papier ou sur une application digitale (Procreate) Que ce soit du verre thermoformé ou bois, tout m'interpelle vu que j'y trouve plaisir à jouer avec et refléter un peu de sens dans la vie de tous les jours. C'est pas que j'ai rien que ça à faire, c'est juste que je me perds plus souvent que d'autres peut-être. ;)
Ah oui, quant à la technologie de réalité augmentée, aux environnements immersifs, aux casques de réalité virtuelle... Ce sont des technologies qui s'en viennent vite, surtout dans les musées et les grandes galeries. C'est encore jeune, mais le radar capte déjà des signaux d'avenir.

Quel rôle la communauté ou la collaboration jouent-elles dans votre travail ?
J'avais l'habitude de travailler principalement seul, mais au fil du temps, j'ai pris conscience de l'importance de la communauté - non seulement pour le soutien, mais aussi pour l'inspiration, le retour d'information et la croissance. Qu'il s'agisse d'autres artistes, de résidents locaux, d'étudiants ou même de personnes qui ne se considèrent pas comme « créatives », je trouve ces échanges fondateurs et enrichissants.
Les collaborations peuvent prendre de nombreuses formes. Parfois, il s'agit d'un projet officiel, comme une fresque murale avec un groupe de jeunes ou d'autres artistes. D'autres fois, il s'agit simplement d'une conversation ou d'un moment partagé qui déclenche une nouvelle orientation.
J'aime aussi l'idée que l'art est un connecteur - quelque chose qui rassemble les gens, leur donne l'impression d'être vus ou leur offre simplement une pause. Même lorsque l'œuvre est personnelle ou abstraite, j'espère qu'elle crée un espace pour que les autres réfléchissent ou ressentent quelque chose qu'ils n'attendaient pas.

Avez-vous des réflexions finales que vous aimeriez partager?
Même si je viens d'un petit village, la vie ne juge pas. Je n'aurais jamais pu m'imaginer devenir artiste professionnel. Mais aujourd'hui, je sais que mon art me guérit. Et j'espère qu'il peut faire pareil pour d'autres.
Tout comme la création d'une œuvre d'art, votre vie d'artiste connaîtra probablement des hauts et des bas - utilisez leur potentiel. Le moment présent est vraiment le seul moment que nous pouvons vivre et dont nous pouvons être conscients.
Ne freinez pas votre créativité. Tracez votre propre chemin. Soyez courageux - demandez et offrez de l'aide. Les organisations artistiques sont là pour soutenir leurs communautés artistiques et apprendre d'elles - c'est une symbiose positive.
L'imagination et la volonté se nourrissent l'une l'autre, et nos préférences ont beaucoup plus de pouvoir lorsqu'elles sont conscientisées. Si le journal, le dessin, la peinture, le théâtre, les amis et/ou les pairs vous aident à y voir plus clair, écoutez ! Observez. La vie est beaucoup plus proche que nous ne le pensons. Nos inquiétudes ne sont souvent que des histoires guidées par une logique automatique. Explorez d'autres logiques et, si nécessaire, sortez de l'ordinaire.
Vous pouvez toujours intervenir dans ces scénarios d'inquiétude et dire : "Coupez ! Coupez ! Cela ne va pas marcher - l'avenir est trop sombre - ajoutons un peu de lumière et un pont".
C'est vous qui détenez les clés. Efforcez-vous de créer votre vie. Honorez vos émotions.
Et puis, petit conseil… Quand tu t'ennuies ou que t'es perdu : va aider quelqu'un. Tu serais surpris de voir à quel point la vie peut redevenir pleine de sens, et avec toi dedans.