Stéphanie Couturier
Stéphanie est une millénaire qui a grandi en forêt dans le nord-ouest du Nouveau-Brunswick. Enfant, avec son petit toupette carré, elle aimait se coucher dans le gazon, regarder les criquets volés au-dessus d’elle pendant que les nuages faisaient une pièce de théâtre dans le ciel. Aujourd’hui, elle a encore le toupette carré, s’endort au son des criquets et crée ses propres nuages en vitrail, un médium qui la fascine depuis qu’elle mesure plus de trois pieds.
Ayant débuté sa vie de jeune adulte comme infirmière, elle décide de créer La Vie en Verre en pleine pandémie. Ses œuvres semblaient apporter de la couleur et de la lumière dans la vie des gens confinés. Comme quoi il y a plus d’une façon d’aider et d’inspirer le monde.
Étant autodidacte, elle a développé un style qui se démarque par ses formes modernes et abstraites. Elle s’inspire de l’expérience humaine, de la nature, de sa beauté et de son déclin. Son studio, situé à quelques pas de son gazon d’enfance, comprend des fenêtres d’est en ouest, deux chats noirs et du bon café. Elle y travaille le verre et crée de nouvelles collections au gré des saisons.
Elle offre ses œuvres dans plusieurs boutiques au Canada et au sein de la Fabrique 1840 de La Maison Simons. Elle a également sa propre boutique en ligne où elle y vend ses œuvres lorsqu’elle lance de nouvelles collections. À l’occasion, elle partage ses connaissances en donnant des cours au centre des arts de sa communauté.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir artiste ?
Je ne sais pas si c’est inné ou appris, mais j’ai des tantes ultra talentueuses qui m’ont toujours inspirée depuis que j’ai conscience que je suis au monde. Je les regardais mener leur vie avec leur art comme fidèle compagnon. Elles sont colorées, opinionated, engagées, des fois révoltées, mais surtout et toujours passionnées. À travers elles, j’ai vu les différentes couches de l’expérience humaine par la perspective d’un cerveau d’artiste et un monde s’ouvrait à moi à chaque interaction. J’ai longtemps voulu avoir un talent, n’importe quel, mais j’en voulais un pour m’exprimer, être libre et m’épanouir, comme mes matantes.
En quoi votre formation et vos expériences vous ont-elles aidé à créer et à innover dans votre pratique artistique ?
Autre que beaucoup de blogues et de vidéos « YouTube », je suis autodidacte. Bien que ç’a été un parcours plutôt solitaire, ça m’a donné carte blanche et ça m’a permis de créer un style propre à moi-même en explorant les possibilités et les limites du vitrail. Autant j’étais inspirée par les créations de verre, autant je ne voulais pas les répliquer. J’ai passé au travers beaucoup de doutes, d’essai/erreur et de troubleshooting dans ma pratique. Parfois ça marche, parfois il y a place à amélioration. Le fait aussi d’être seule dans mon studio me permet de compétitionner uniquement avec moi-même. Je perfectionne mon art de pièce en pièce et je note mon évolution dans la qualité et l’élaboration de mes pièces.
Qu’est-ce qui vous stimule le plus de votre pratique ?
Le résultat final ! Le vitrail comprend plusieurs étapes qui peuvent parfois être longues à exécuter. C’est toujours stimulant d’imaginer le résultat final et d’en rêver jusqu’à ce que ce soit accompli. J’ai toujours le même émerveillement lorsque je termine une pièce. Comme un enfant devant un sapin allumé.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler le verre ?
J’ai toujours eu une fascination pour tous les métiers du verre. C’est un médium qui m’émerveille par sa brillance, sa transparence et sa pureté. Chaque œuvre que ce soit en vitraux traditionnels, en verre soufflé ou fusionné attire mon attention et captive mon imagination. Cependant, j’ai longtemps été intimidé par les artistes de verre et honnêtement, je le suis encore parfois. Je croyais que seuls les « grands » artistes avaient la capacité de travailler avec le verre et c’est en faisant un peu plus de recherche et d’exploration que j’ai réalisé que le vitrail, du moins, était quand même un médium accessible à moi.
Qu’est-ce qui anime votre créativité ?
C’est souvent à partir de différentes émotions, besoins ou idées que je crée mes pièces. Pour moi, créer c’est vital. Les gens appellent souvent mon art un « hobby », un « beau passe-temps ». Mais c’est tellement plus que ça. Oui, je passe du bon temps dans mon atelier, mais c’est aussi une période vitale à mon bien-être. Comme un coureur à besoin de courir, j’ai besoin de me retrouver seule dans mon atelier à dessiner des patrons, couper du verre ou me casser la tête avec un agencement de couleurs. C’est souvent une sorte de thérapie, parfois une activité envoûtante, mais toujours un élément essentiel à mon homéostasie intérieure.
Comment se déroule le processus de création d’une œuvre ?
Ça dépend de mon besoin. Parfois je passe plusieurs jours à réfléchir à un certain thème ou concept. Par exemple la résilience, le soleil, les gouttes de rosé le matin ou le deuil. Qu’est-ce que ça veut dire pour moi, qu’est-ce que j’en apprends ? Si c’est quelque chose qui m’alimente, j’essaie de les transposer en dessins. Ça devient alors thérapeutique et cathartique. Parfois ça s’arrête là et puis ça meurt sur papier, mais si je pense que ça pourrait parler à quelqu’un d’autre, je le crée en patron et je le transforme en vitrail. Ensuite vient le temps de trouver la bonne couleur et la bonne texture de verre. Ça, c’est une autre paire de manches ! Je peux vraiment y passer des heures à faire des choix d’agencement comme si ma vie en dépendait !
Quelle est votre vision à long terme et qu’espérez-vous réaliser ?
Apprendre de nouvelles techniques que je peux incorporer dans mon processus créatif. J’ai tellement un grand baluchon à remplir ! Il y a aussi plusieurs autres matériaux que j’aimerais intégrer dans mes œuvres et je rêve de faire de plus grandes installations et sculptures.
Grâce à votre travail, qu’avez-vous appris sur vous-même et/ou sur la communauté artistique du Nouveau-Brunswick ?
J’en apprends encore. Mais la plus grande leçon que le vitrail m’a apportée c’est l’humilité d’être poche à quelque chose de nouveau et le courage de respecter le matériel assez longtemps pour l’apprivoiser. De continuer à cheminer même si on se sent petit et impertinent. C’est génial quand les gens répondent bien à son travail, mais c’est aussi génial quand on réalise qu’on va continuer à le faire même si plus personne ne nous jette un coup d’œil. Mon art ne rejoint pas toujours le grand public et ça peut être difficile de se sentir incomprise. Heureusement, j’ai de bons liens avec certains artistes néo-brunswickois avec qui je peux partager ces feelings-là. C’est une communauté qui n’a pas peur de s’entraider et de s’encourager et qui veut continuer à diversifier et évoluer l’offre d’art dans la province.
Selon vous, quel est l’impact du travail des artistes dans les communautés et dans l’ensemble de la province ?
Nous sommes une petite province et souvent notre voix est éteinte à l’échelle nationale. Notre art et nos artistes c’est notre richesse. C’est ce qui dit au reste du pays qu’on est là et qu’on a beaucoup à offrir. Les artistes acadiens et francophones font un travail formidable afin de garder notre culture vivante et s’assurer de sa longévité. Ils sont tous fiers de leurs racines et désireux de la partager et portent souvent notre culture sur leurs épaules.
Décrivez ce dont vous êtes le plus fier au cours de votre carrière.
D’être encore là. Malgré ma carrière juvénile, la réalité est que le monde artistique et les petites entreprises souffrent beaucoup ces dernières années et je me compte chanceuse de pouvoir continuer à faire ce que j’aime et de ne pas avoir baissé les bras. Il y a plein de contrats et de créations que je suis fière d’avoir accomplis. Tout ça partagé de temps morts, de temps difficiles et un emploi à temps partiel. Au final, ce dont je suis fière c’est de persévérer et de continuer de créer, peu importe le résultat.
Quels conseils donneriez-vous aux personnes désireuses de poursuivre une carrière artistique ?
De créer pour soi-même. Non pas pour les tendances et pour ce qu’on pense que les autres vont aimer. De bien évaluer ce qu’une carrière représente pour eux et de ne pas confondre l’argent avec le succès. Que d’avoir la chance d’utiliser nos mains pour faire quelque chose est une richesse en soi et un élément clé dans notre définition du succès. Mais surtout de ne pas m’écouter, mais d’écouter leur propre voix intérieure !