Yves Doucet
Depuis ses débuts en standup en 2014, Yves Doucet est devenu l’un des humoristes de renom en Acadie. Il a remporté le concours « l’Acadie Juste pour rire », a participé aux galas D’un rire à l’autre à UnisTV et a partagé la scène avec des humoristes établis, dont Mike Ward, Korine Côté et Pierre-Bruno Rivard.
Lors du Festival Hubcap 2020, il a assuré avec brio la première partie du spectacle Femme ta gueule de Mariana Mazza au Théâtre Capitol. Grâce à ces expériences – et à ses nombreuses chicanes sur les réseaux sociaux – Yves a présenté en 2024 son tout premier one man show, Vouloir c’est pouvoir.
Dans son « autre vie », il œuvre en éducation depuis 25 ans. Ses expériences en enseignement à Shediac et à Moncton l’ont mené à occuper aujourd’hui un poste de leadeur pédagogique au District scolaire francophone Sud. Au fil des années, il a eu l’occasion de s’impliquer dans de nombreux dossiers touchant à la construction identitaire, la langue, la culture et la diversité. Il a travaillé de concert avec de nombreux partenaires, dont le Ministère de l’Éducation et du Développement de la petite enfance du Nouveau-Brunswick, la Fédération des jeunes francophones du NB, l’Université de Moncton et la Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, ainsi que des événements comme le Salon du livre de Dieppe et le Festival Frye, où il a également agi à titre d’administrateur. Il tente d’utiliser sa voix et ses positions sociales privilégiées pour défendre la diversité, l’émancipation des minorités et valoriser la puissance de réelles collaborations.
Il adore aussi le bacon.
Qu’est-ce qui vous a amené à faire de l’humour ?
J’étais un enfant pas mal timide. Vers la fin de ma 11e année, à l’École secondaire Nepisiguit de Bathurst, mon amie Anne-Marie (merciiiii) m’a invité à assister à une pratique de l’équipe d’improvisation. Ça a été le coup de foudre (pour l’impro, là - Anne-Marie est ben gentille, mais elle est demeurée une amie). Et l’improvisation m’a appris à beaucoup moins craindre de faire rire de moi… parce que là, j’apprenais à faire rire de moi intentionnellement!
Plus tard, des amis avec qui j’avais fait de l’impro se sont lancés dans le standup. Et j’ai eu le goût de m’essayer aussi. Ma première expérience, ça a été le concours amateur « L’Acadie Juste pour rire » dans le cadre du Festival de l’humour Hubcap de Moncton. Et, encore une fois, ce fut le coup de foudre! Je me suis juré de continuer à en faire tant que j’aimerais ça. Et 10 ans plus tard, j’aime ça plus que jamais!
En quoi votre formation et vos expériences vous ont-elles aidé à créer et à innover dans votre processus de création ?
J’ai fait des études universitaires en sciences, ce qui cadre très bien avec ma personnalité de “nerd”. Et je crois que ça vient teinter ma création humoristique, qui s’appuie pas mal plus sur des observations que sur un processus hautement créatif.
J’ai aussi une formation et de l’expérience en enseignement des mathématiques et des sciences au secondaire. Enseigner m’a donné le goût de connecter avec les gens, et de dédramatiser les conflits potentiels. Rire, ça détend l’atmosphère, et ça me servait très bien en salle de classe.
Qu’est-ce qui vous stimule le plus de votre pratique humoristique ?
Je pense que je fais de l’humour pour deux raisons principales. D’abord, le rire est bon pour la santé, et de savoir que je contribue au bien-être des gens, ça me fait plaisir.
Mais en toute honnêteté, je fais aussi de l’humour pour mon égo! Y’a pas grand feeling qui se compare à celui d’une foule qui rit aux éclats grâce à ce que j’ai moi-même écrit et performé. C’est grandement valorisant. Et quand je repense au p’tit gars timide que j’étais, ça me fait doubement plaisir de voir où j’en suis rendu…
Comment le fait de vivre et de travailler au Nouveau-Brunswick vous a-t-il aidé et/ou inspiré votre cheminement ?
Faire de l’humour ici, ça me permet de créer des liens plus facilement avec mon public. On se comprend tout de suite, on a les mêmes référents. Et certaines personnes m’ont vu sur scène souvent et deviennent un peu des points d’ancrage. Je peux me fier sur leurs réactions pour m’ajuster.
Et comme mon humour traite surtout de banalités, de l’absurdité des détails de notre quotidien, et d’anecdotes toutes simples, le fait de pouvoir raconter ça à un public qui a un vécu pas mal semblable au mien, ça facilite les choses.
Mais je tiens également à souligner que nous avons, chez-nous, un public humoristique intelligent, cultivé et même exigeant. Lorsque j’ai accès à un micro, je sens l’importance de livrer une performance à la hauteur de leurs attentes. Et les quelques fois que j’ai pu présenter des numéros à l’extérieur de mon Acadie, ça s’est superbement déroulé, en grande partie parce que mon public de chez-nous m’avait poussé dans l’dos!
Comment se déroule le processus de création d’un numéro ou d’un spectacle ?
Oh que j’aimerais avoir une belle histoire de processus créatif à vous partager… Mais contrairement à plusieurs personnes qui travaillent en humour, mon écriture est souvent assez aléatoire, presque impulsive. J’ai une note dans mon téléphone où j’inscris les idées qui me passent par la tête, ou quand quelqu’un de mon entourage dit quelque chose qui pourrait cacher un élément humoristique. L’écriture humoristique, dans mon expérience, c’est surtout de trouver des façons de raconter une anecdote, ou de partager une observation, en utilisant les bons mots, dans le bon ordre, pour surprendre. C’est stratégique… mais en même temps, très organique. Et, oui, plusieurs de mes meilleures blagues me viennent de gens de mon entourage (ces personnes sauront se reconnaître).
Pourquoi pensez-vous qu'il est important de faire de l’art et s’investir dans une démarche créative?
La créativité, c’est la vie. Si on ne fait que répéter, reproduire, suivre, est-on vraiment en train de vivre sa vie? Moi, j’ai la chance de vivre cette créativité de façon publique, sur une scène. Mais ça n’est pas plus important ou plus impressionnant que toutes les personnes qui font preuve de créativité de mille et une autres façons. Y’a des gens qui démontrent de la créativité dans leur choix de carrière, leurs choix vestimentaires, leurs structures familiales, leurs routines quotidiennes.
Et je ne crois pas que ce soit obligatoire de partager ses créations pour qu’elles aient de la valeur. La créativité peut être très personnelle. Mais je suis convaincu que nous avons besoin de créer pour nous épanouir. Et pour nourrir la création, nous devons aussi consommer des arts et de la culture, afin de soutenir les élans créatifs des personnes qui choisissent de les partager avec le public. Allez voir des spectacles d’humour, des pièces de théâtre, des films, achetez de la musique, achetez des œuvres d’art, soutenez les artistes de quelque façon que vous pouvez. Les arts nous donnent une âme…
Grâce à votre travail, qu’avez-vous appris sur vous-même et/ou sur la communauté humoristique du Nouveau-Brunswick ?
Dans la communauté humoristique et artistique du Nouveau-Brunswick, j’ai découvert des gens passionnés, des gens qui osent. Des gens qui s’entreprennent, qui s’organisent. Je continue aussi à y retrouver beaucoup de bienveillance. Depuis le tout début de ma folle aventure en standup, il y a TELLEMENT de personnes qui m’ont offert des mots d’encouragement, d’appréciation, des conseils, des trucs, des blagues. C’est très nourrissant.
Et en cheminant en humour, j’ai choisi aussi souvent que possible de rire de moi-même, ce qui m’a poussé à repenser à qui je suis, d’où je viens, où je m’en vais. Mon tout premier spectacle solo, Vouloir c’est pouvoir, a l’apparence d’une succession de blagues et d’anecdotes assez légères, mais j’y explore et révèle plusieurs aspects de moi, de mon vécu, de mon cheminement. C’est probablement le miroir le plus honnête dans lequel je me suis regardé.
Selon vous, quel est l’impact du travail des humoristes dans les communautés et dans l’ensemble de la province ?
Le monde de l’humour est encore, selon moi, en émergence au Nouveau-Brunswick. Ça fait quand même longtemps qu’on navigue là-dedans (depuis l’Ensemble Vide, les Frères Smouthe et les personnages du Pays de la Sagouine), mais une véritable cohorte d’humoristes, chez-nous, c’est tout de même assez récent. Là, je sens que le public commence à comprendre que nous sommes ici, que nous avons un produit humoristique très solide à offrir. Il y a, bien sûr, d’excellents humoristes d’ailleurs qui viennent régulièrement se produire ici au Nouveau-Brunswick, mais je ne crois pas que nous ayons quoi que ce soit à leur envier. Et plus nos humoristes d’ici ont d’occasions de prendre le micro, plus l’amélioration sera rapide. Alors, j’enjoins les salles de spectacles et les diffuseurs de chez-nous à oser s’embarquer dans l’aventure avec nous. Le rire est fondamentalement bon pour la santé, et je crois fermement que si le public a la chance de rire avec quelqu’un d’ici, la valeur identitaire vient doubler le bénéfice du rire!
Quels conseils donneriez-vous aux personnes désireuses de faire de l’humour ?
Osez! La première fois que j’ai considéré participer au concours amateur, j’avais des hésitations. Mais un ami qui faisait déjà de l’humour (merci, Nathan) m’a dit, tout simplement: “Qu’est-ce que tu as à perdre?” Et il avait parfaitement raison. Faire de l’humour, ça n’est pas facile. Mais c’est possible, c’est accessible. Il faut vouloir, il faut oser, et il faut s’engager à y consacrer du temps. Et, surtout, à vouloir s’améliorer et recevoir positivement la critique. Mais, de grâce, OSEZ!